Thursday, July 18, 2013

La naissance d'un cygne / Polina de Bastien Vives


Polina de Bastien Vives

En l’espace de quelques albums, Bastien Vivès, né en 1984, s’est imposé comme l’une des personnalités les plus talentueuses de la jeune bande dessinée contemporaine, celle qui prend la relève de la génération des Sfar, Trondheim et autres Bravo apparus dans les années 90. Il puise dans les relations humaines compliquées et simples à la fois pour raconter à sa propre manière un bout de vie de ses héros et de leur entourage. Dans son dernier roman graphique en solo, Polina, Bastien Vivès s’inspire de la vie de Polina Semionova, célèbre danseuse de ballet classique, une des plus jeunes à avoir atteint le titre de « prima ballerina », qu’il a vue danser dans un clip du chanteur allemand Herbert Grönemeyer.

L’histoire débute sur la très jeune héroïne, 6 ans, auditionnant pour être admise à l’académie de danse du professeur Bojinski, reconnu comme un des plus impitoyables de toute la Russie. Armée de patience, de talent, de douceur et d’ambition, Polina ne fléchit pas devant la rigueur et la perfection requises, et gravit les échelons rapidement. Très vite, elle se démarque de ses collègues, et se retrouve sous la supervision de Bojinski en personne, qui ne lui rend pas la tâche facile. Sous le regard du maître qui corrige sans relâchement et avec précision chaque geste et mouvement, chaque interprétation et émotion, elle bâtit sa carrière de danseuse. « Pour moi, le pilier de cet album est la relation maître-élève », affirme Vivès. Il transpose dans l’histoire de Polina sa relation avec son père, peintre et illustrateur, qui lui a transmis l’amour du dessin et la passion pour ce métier. Il ne s’agit plus de danser pour soi, pour son plaisir personnel, mais pour synthétiser le mouvement en beauté et perfection. Chaque jour se transforme en une nouvelle épreuve pour la jeune ballerine qui grandit et perfectionne son art. Alors qu’elle poursuit ses études au théâtre, Bojinski la choisit pour interpréter un solo qu’il a chorégraphié. Mais Polina ne restera pas là. Devenue une belle jeune femme, elle décide de se lancer à l’aventure, loin de la docilité qu’impose le ballet classique, et de la Russie, pour s’épanouir et vivre des expériences qui lui sont propres à travers ses choix, ses réussites et ses déceptions. Elle suit ses instincts et envies pour devenir une ballerine accomplie et reconnue dans le monde. Suite à une invitation à une soirée organisée au théâtre où elle a passé son adolescence, elle doit faire face aux fantômes de son passé, ses amours perdues, ses professeurs, et surtout son maître.

Pour produire cet ouvrage, qui a reçu le prix des Libraires BD 2011, Vivès s’est profondément documenté en visionnant des vidéos, puisant dans des livres, observant les positions de base des ballerines durant les cours et en assistant à la somptueuse représentation de Blanche Neige d’Angelin Preljocaj. Bastien Vivès ne fait pas de compromis sur la qualité du scénario ainsi que de l’image qui s’épousent parfaitement. « Scénaristiquement, Polina est l’album le plus abouti que j’aie réalisé jusqu’à présent. J’ai beaucoup travaillé les dialogues et les intentions des personnages. Les relations entre les protagonistes portent l’histoire, lui donnent de la force », dit Vivès. Assurant un ton digne de la distinction des ballets russes, l’histoire de Polina est fluide et attachante, marquée par des moments forts, et véhicule des émotions auxquelles le lecteur peut facilement s’identifier. Entre amour, jalousie, déception, tristesse et fureur, Vivès arrive magistralement à représenter les relations humaines, comme dans ses précédents romans graphiques dont Dans mes yeux, Le goût du chlore et Amitié étroite.

Ayant prouvé ses talents aux crayons de couleurs, il adopte dans Polina le numérique, le trait contre des masses noires, blanches et grises. Ce minimalisme met en avant des regards, des attitudes, et pousse les contrastes. Un dessin qui évoque celui d’Hugo Pratt et Paolo Cossi. Le choix de la technique répond bien au thème et à l’histoire ainsi qu’à l’univers de ballerines et de salles de danse dans leur sobriété et leur élégance.

À travers ses histoires légères, Vivès traite des relations humaines, sans parti pris ni jugement, ce qui rend ses personnages attachants et ses histoires émouvantes. Ajoutons à cela son talent graphique ainsi que la finesse propre à son trait, ce jeune bédéiste n’arrêtera pas de sitôt de nous embarquer subtilement dans des bouts de vies. 


No comments:

Post a Comment