(Existe aussi en français, Gaza
1956 en marge de l’histoire chez Futuropolis)
Vous êtes invités à retourner dans le temps. En
1956 très précisément, à Gaza. Votre guide sera Joe Sacco, journaliste et
auteur de bande dessinée américain originaire de Malte. Il va dérouler le fil d’un
enchaînement dramatique que l’histoire a relégué dans quelque rayon poussiéreux
des archives du temps afin d’éclairer les tombeaux de la mémoire collective
palestinienne. Dans les creux sinusoïdaux des visages de ses témoins qu’il
interroge ainsi que dans leurs regards éteints, il cherche la réponse à une
question : que s’est-il passé exactement à Gaza en 1956 ?
La curiosité pour cette date particulière est
nourrie par le texte de Naom Chomsky, The Fateful Triangle, dans lequel
sont évoqués des incidents qui eurent lieu à Gaza lors de la crise de Suez en
1956. Envoyé en Palestine par Harper’s Magazine, Sacco profite de sa
présence à Khan Younes pour plonger dans le passé trouble des lieux. Il revient
en 2003 à Gaza où la suite des événements de l’automne 1956 l’emmène à Rafah. Footnotes
in Gaza est donc le résultat de ces deux reportages, une première partie à
Khan Younes, puis une seconde plus longue partie à Rafah. Enterré profondément
dans les archives, un sanglant incident eut lieu à Rafah, ville à la pointe sud
de la bande de Gaza en 1956 où 111 Palestiniens sont tués. Massacre ou morbide
erreur de l’armée israélienne ?
Pour Sacco, la difficulté de l’exercice n’est pas
de trouver des personnes qui ont assisté aux événements, mais d’inciter ces
témoins à se concentrer sur le sujet. Alors que les incidents à Gaza se
perpétuent, les habitants de cette région surpeuplée n’ont pas de recul vis-à-vis
des événements, ce qui rend la tâche ardue au chercheur. « Les événements sont continus »,
dirait un des témoins, et certains lui reprochent d’ailleurs de retourner en
1956 alors que la situation actuelle n’est pas meilleure. Le résultat de ce
travail met en commun des histoires orales, des souvenirs et surtout une
attitude de reportage évidente. Joe Sacco est lui-même présent dans l’histoire
et rapporte ses déplacements, ses réflexions et ses impressions. Il ne manque
pas d’évoquer son exaspération aux barrages qui durent des heures ou son
enthousiasme pour les gâteaux au miel locaux. Dans cette histoire que l’auteur
qualifie de « sombre », Joe
Sacco choisit de cacher ses yeux par des lunettes. D’après lui, cela aide le
lecteur à se sentir à sa place et à se transposer dans le moment de l’action.
Il ne cherche pas à rendre son personnage tragique. L’histoire n’est pas à
propos de ses pérégrinations dans cette ville, mais à propos des habitants. Il
décide de souligner leurs sentiments plutôt que les siens.
La réalisation de cette œuvre a duré quatre ans. L’auteur
avoue ne pas avoir suivi un story board préparé à l’avance et n’a pas de croquis
comme référence. Sacco dessine directement avec son crayon. Toutes les images
sont faites à la main. Il est donc obligé de reprendre l’image à chaque
accident de dessin. Vu la perfection du trait et la quantité de lignes
graphiques dans ses images, son travail rappelle la méticulosité de Chris Ware,
certaines planches claustrophobiques de David B. et surtout les compositions
graphiques américaines des comics, comme celles d’Art Spiegelman qui est d’ailleurs
une de ses références avec l’artiste flamand Breugel et le journaliste et
écrivain anglais George Orwell, ce qui n’est pas tout à fait inattendu.
Les ouvrages de Sacco ont été primés à plusieurs
reprises. Ainsi, Palestine a reçu l’American Book Award, tandis que Safe
Area Gorazde, qui retrace la guerre en Bosnie, et suite auquel Sacco fut
nommé héritier d’Art Spiegelman par nombres de critiques, a obtenu le Eisner
Award pour le roman graphique le plus original en 2001. Footnotes in Gaza
a remporté le Fauve d’Angoulême, prix Regard sur le monde 2011, et a figuré
parmi les finalistes du Los Angeles Times Book Prize. Après un moment de répit
qu’il déclare essentiel pour son équilibre mental, retournera-t-il à
Gaza ou couvrira-t-il d’autres villes déchirées par les guerres, d’autres
peuples, d’autres mystères, d’autres notes de bas de page de l’histoire de l’humanité ?
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