Monday, July 22, 2013

Silence et contemplation // Dockwood- Jon McNaught



Ouvrir les yeux. Observer la valse d’une feuille jaunie qui tombe d’un arbre, d’un oiseau dont la forme se découpe dans le ciel, suivre la trajectoire de l’écureuil dans sa course. Voilà, entre autres, ce que nous suggère Jon McNaught dans son Automne.

Le matin, un jeune homme prend le bus, et s’arrête devant Elmview, une maison de retraite. Il y travaille comme commis et sert les repas aux résidents. Le soir, un jeune collégien fait sa ronde de distribution de journaux après les cours. Ce qui ressemble à un très bref synopsis est en fait l’histoire intégrale du roman graphique Automne de Jon McNaught. Sa couverture est minutieusement dessinée avec des motifs de feuilles d’automne rougies parmi lesquels se perd un écureuil. Qu’est-ce qui fait que cet ouvrage à la trame narrative plus que ténue ait discrètement raflé le prix de la Révélation 2013 au festival Angoulême ?

La magie opère à l’ouverture du livre. Les pages sont divisées en un gaufrier régulier sur-découpant un quotidien d’automne, qui invite au calme, à la contemplation et à l’écoute de la nature changeante à travers deux personnages ordinaires. La simplicité du scénario qui suit ces deux jeunes hommes dans la lenteur de leurs mouvements est en résonance avec la ville et la nature. Elle donne une puissance à l’ouvrage qui ne raconte pas une action vécue, mais plutôt une vie de petits riens. Le lecteur est entraîné dans une ambiance de méditation et d’observation tout au long d’un récit sans héros, un récit dont il devient le personnage principal vivant un quotidien banal au cours d’une saison familière. 

Le dessin très graphique, rigoureux, détaillé et dénué de toute prétention s’inscrit dans des vignettes bien alignées. Débarrassées d’un encrage fort et d’un cerne délimitant les formes, les masses de couleurs sont franches et nuancées par des zones d’ombres et de lumières qui prennent position sur les objets, les véhicules, les bâtiments et les personnages. Avec un choix de palettes limité, les couleurs varient entre l’orangé, le rose et le bleu pour un rendu doux, curieux et élégant. Dans certains cas, Jon McNaught parvient même à mettre au point une image à couper le souffle en utilisant seulement les déclinaisons d’une seule couleur. 

L’usage des bulles est absent tout le long de la narration. Ce choix rend service au ton et au rythme établis par l’auteur. Tout dialogue est vain. Le but de ces planches est de savourer le silence en observant le monde. Toutefois, quelques sons de la nature, des machines et de la ville nous parviennent et renforcent la dimension contemplative de l’ouvrage.

Automne, par son style graphique et l’usage de cases miniatures, rappelle parfois les planches de l’Américain Chris Ware. On y décèle aussi une affiliation avec L’homme qui marche de Jiro Taniguchi, l’histoire d’un arpenteur qui apprécie la pluie, les jardins, un bain, les lumières de la nuit...

C’est donc un retour aux choses simples de la vie que nous propose, une fois de plus, Jon McNaught, jeune auteur anglais né en 1985, dont les précédentes œuvres, Dimanche et Pebble Island, étaient déjà des histoires muettes et contemplatives. On serait tenté de comprendre ce penchant comme la réminiscence d’une jeunesse passée aux îles malouines, confins sud-atlantique de l’Empire britannique où, assurément, silence et contemplation font bon ménage.

Se retourner pour avancer // Portugal - Cyril Pedrosa




Prisonnier d’une léthargie affective, émotionnelle et productive, Simon Mucha, bédéiste parisien d’origine portugaise, est incapable de se lancer dans la réalisation d’une bande dessinée. Il décide alors d’abandonner son confort, sa maison, sa fiancée et sa vie parisienne pour partir dans une quête d’identité et de ses origines. Sa famille n’est plus alors qu’un vague souvenir, se résumant à quelques noms préservés dans sa mémoire de jeune enfant d’immigrés. Il part donc en voyage au Portugal, à la découverte de ses origines, et pour mieux comprendre son identité. Ses impressions, ses sensations et ses aventures quotidiennes finiront par être la matière première de son roman graphique, enfin achevé : Portugal, une œuvre qui mène le narrateur vers des personnes aux traits et au sang identiques à lui-même.

L’arrachement du sein familial de Simon Mucha se clarifie lorsque le personnage de son père est introduit dans l’histoire. Homme d’affaires absorbé par son travail, il préfère se mouler aux meubles de son bureau plutôt que de passer une semaine en famille. Simon Mucha, narrateur et héros de sa propre histoire, profite alors du mariage de sa cousine à Bourgogne pour se rapprocher de son oncle et de sa tante. D’autres personnages rentrent en scène et déterrent le passé avec des anecdotes, des discussions, des moments de tendresse et des disputes. Succombant à l’appel de son pays natal, Simon Mucha met le cap sur le Portugal, où nous le suivons dans une charmante maison familiale, qui le materne par son ambiance chaleureuse, le berce par l’accent du voisinage, le nourrit à son généreux potager et lui fait découvrir les promenades étonnantes à vélo. Sur sa table de travail, Simon Mucha – probable avatar de Cyril Pedrosa, l’auteur – retrouve enfin le goût de la vie, du travail et de la passion.

Il suffit d’entrouvrir ce large et épais roman graphique pour être aspiré dans une tornade de formes et de couleurs. Les planches renferment une richesse de style peu habituelle au sein d’une même histoire. Cyril Pedrosa emploie différentes techniques de dessin et de mise en couleur pour varier la narration graphique au rythme et au contenu de chaque scène de l’histoire. Le visuel passe ainsi avec beaucoup de légèreté d’une atmosphère à une autre, d’une planche aux couleurs tempérées et aux coups de crayons vifs, à une planche où le noir domine et les traits sont fragiles. Parfois, comme dans une planche où Simon et son père discutent intimement, le décor et les personnages se dissolvent dans les cases et les aplats de couleurs. L’image devient douce et les barrières tombent.

Le scénario est aussi intelligemment façonné. Bien qu’aucune action majeure n’ait lieu tout au long de l’histoire, l’auteur mène le lecteur par le bout du nez en imposant un rythme lent qui laisse le temps au plaisir de disséquer et de contempler les scènes et les décors, d’observer et d’analyser les nombreux protagonistes aux caractères fortement affirmés et sentis. Comme lors d’un voyage sans guide touristique, Portugal est une narration où on ne s’attend à rien, mais qui nous fait découvrir mille et une choses, et qui nous surprend.

Voyager et retourner dans son passé pour pouvoir évoluer fut le choix du narrateur. Cette découverte de soi fonctionne comme un roman d’initiation solitaire qui s’appuie sur la mise en abîme de l’auteur-narrateur. Cyril Pedrosa et Simon Mucha n’ont sûrement pas fini de voyager ensemble.